Magie blanche, magie noire, magie rouge. Dans l’imaginaire collectif occidental, ces étiquettes sont devenues un réflexe. Elles offrent une cartographie simple du monde spirituel, une boussole morale pour distinguer le « bien » (guérison, protection) du « mal » (malédiction, contrôle) et du « désir » (amour, séduction).
Ces catégories, si pratiques soient-elles pour se faire comprendre, sont pourtant une simplification. Elles dessinent une ligne nette entre des forces qui, dans les traditions ancestrales comme le Vaudou haïtien, sont bien plus enchevêtrées, subtiles et interdépendantes.
Pour dissiper l’illusion des couleurs et toucher à la réalité du « Travay » (travail occulte), nous avons sollicité l’éclairage de Maître Loray Gwondé. En tant que Houngan du Vaudou haïtien et Onanya Joni (Homme de Sagesse) Shipibo-Conibo, il se situe au carrefour de ces forces vives.
L’illusion des couleurs : une énergie neutre
La première distinction que l’Occident opère est morale. Le blanc serait pur, le noir serait corrompu. Cette vision binaire, héritage d’une pensée religieuse dualiste, est étrangère à la cosmologie du Vaudou.
Loray Gwondé : « Il faut être pragmatique. Comme je le dis souvent, il n’y a qu’une seule magie, et elle est magie d’intention. L’énergie en soi est une essence neutre. C’est l’intention du praticien, son cœur, qui la polarise. Vous souhaitez nuire ? L’acte sera qualifié de magie noire. Vous souhaitez rétablir un équilibre ? Elle sera nommée blanche. L’énergie est une essence neutre, à vous de voir ce que vous en ferez. »
Cette neutralité fondamentale est la clé. Le Vaudou ne classe pas ses rituels par « couleurs » morales, mais par « nations » ou « rites » (Rada, Petwo, Nago, Ibo…), qui correspondent à différentes familles de Lwa (esprits) et à différentes « températures » d’énergie.
La « Magie Blanche » ou le Service Rada
Si nous devions trouver une correspondance à la « magie blanche », ce serait dans le Rite Rada. Ce rite regroupe les Lwa dits « doux » ou « froids », originaires principalement du Dahomey (l’Afrique).
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L’énergie : C’est une énergie de paix, de sagesse, de guérison, de paternité et de maternité bienveillante. Les rituels Rada visent l’équilibre, la protection, la purification et l’élévation.
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Les Lwa associés : C’est le domaine de Papa Legba (dans son aspect Rada), l’ouvreur de barrières bienveillant ; de Damballah Wedo et Ayida Wedo, le couple primordial des serpents, symboles de paix, de connaissance et de pureté absolue ; ou encore d’Erzulie Freda, l’esprit de l’amour idéalisé, de la beauté et de la chance.
Pratiquer un Sèvis (service) Rada, ce n’est pas faire de la « magie blanche » ; c’est honorer les forces originelles, les racines, pour maintenir l’harmonie de la vie.
La « Magie Rouge » et le Feu des Erzulie
La « magie rouge », dédiée à l’amour, à la passion et au désir, trouve un écho puissant dans le Vaudou, mais elle n’est pas une catégorie à part. Elle est une expression du feu de la vie, portée par des Lwa complexes.
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Erzulie Freda (Rada) : Comme mentionné, elle régit l’amour romantique, la séduction, mais aussi le chagrin d’amour. La servir peut attirer la grâce amoureuse.
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Erzulie Dantor (Petwo) : Elle est l’autre face de l’amour. C’est la mère protectrice, féroce, la passion qui brûle, l’amour qui se bat et ne lâche rien. Un rituel d’amour relevant d’Erzulie Dantor n’aura pas la douceur de celui de Freda ; il aura la force, la rapidité et l’exigence du rite Petwo.
Ici, l’amour n’est ni « blanc » ni « noir » ; il est double, à la fois doux et terrible, comme la vie elle-même.
La « Magie Noire » et l’Incompréhension du Rite Petwo
C’est ici que le malentendu est le plus profond. La « magie noire » est presque toujours associée, à tort, au Rite Petwo.
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L’énergie : Le Petwo est un rite « chaud », « bouillant ». Il est né dans la douleur et la rage de l’esclavage à Haïti. Ses Lwa sont rapides, exigeants, parfois violents, mais pas « maléfiques ». Ils sont les Lwa de l’urgence, de l’efficacité immédiate, ceux qui répondent quand la diplomatie Rada a échoué.
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Les Lwa associés : On y trouve Kalfou (Carrefour), maître des échanges magiques nocturnes, Baron Samedi (et la famille des Gede), qui régit la vie et la mort avec une sagesse moqueuse, et Erzulie Dantor, la guerrière.
C’est souvent un Bòkò, un prêtre qui « travaille des deux mains » (Rada et Petwo), qui manie ces forces.
Loray Gwondé : « Le Bòkò est souvent diabolisé en Occident, vu comme le « sorcier maléfique ». C’est une vision réductrice. Le Bòkò est un praticien qui n’exclut aucune force. Il est celui qui peut aller au contact du feu Petwo pour défaire un travail de nuisance, pour une protection d’urgence ou pour une action rapide. Il assume le déséquilibre pour rétablir l’équilibre. Le Vaudou n’est pas une religion d’anges ; c’est une religion de la vie, avec sa lumière, son sang et sa terre. »
Le Praticien est le Seul Juge
Au terme de ce voyage, les étiquettes de « magie blanche » ou « noire » s’effacent. Elles ne sont que le reflet de notre propre jugement moral projeté sur l’univers.
Un Lwa Rada comme Damballah peut être offensé et ses « punitions » peuvent être terribles. Un Lwa Petwo comme Dantor peut sauver une vie ou protéger une famille avec une efficacité foudroyante.
Il n’y a pas de Lwa « méchants » ou « gentils ». Il n’y a que des forces, des énergies répondant à des principes précis, et au centre, il y a le praticien – Houngan, Manbo ou Bòkò. C’est son intention, sa connaissance et sa responsabilité qui polarisent l’acte. Le Vaudou, plus qu’une magie de couleurs, est une redoutable école de l’équilibre.
